Portrait

Daniel Roux

Illustrateur, graphiste, programmeur et concepteur de jeux vidéo

Daniel Roux, né le 31 mars 1958 à La Chaux-de-Fonds, est un pionnier dans le domaine de la conception de jeux vidéo et du pixel art en Suisse romande. Il est à la fois l’artiste et le programmeur derrière la plupart des logiciels et interfaces graphiques des micro-ordinateurs SMAKY dont il a également dessiné toute la gamme de logos. Il a créé pas moins d’une vingtaine de jeux vidéo mettant souvent en vedette Blupi, la mascotte emblématique de l’univers SMAKY.

1974 – La naissance de BLUP, futur Blupi

Passionné par le dessin depuis son enfance, bien avant l’avènement de la micro-informatique, Daniel Roux avait envisagé de suivre des études à l’École des Beaux-Arts. C’est dans ses cahiers d’école, sous la pointe de son crayon, que prendra forme Blupi, ce petit personnage jaune et ovoïde qui deviendra le héros de ses jeux vidéo et la mascotte emblématique de l’univers SMAKY. Mais avant d’adopter définitivement ce nom, BLUP était le protagoniste de sa propre bande-dessinée intitulée « La guerre des BLUP ». Au début de la commercialisation des SMAKY, il sera temporairement nommé Toto.

Esquisse après esquisse, Blupi prend vie

En 1977, la vie de Daniel Roux prend un tournant décisif lorsqu’il rencontre Jean-Daniel Nicoud, président des clubs d’électronique vaudois et professeur à l’EPFL. À l’époque, il est abonné à la revue ELEclub. C’est à travers cette revue qu’il découvre une publicité pour un micro-ordinateur en kit, « Le Dauphin ». Il en commande immédiatement un exemplaire. C’est ainsi qu’il fait ses premiers pas dans la programmation. Cathi Nicoud, épouse de Jean-Daniel, lui dira plus tard qu’il avait reçu le Dauphin no 1, avec tous les composants qu’elle avait mis dans des petits sachets en plastique!

« Le Dauphin », micro-ordinateur en kit, avec tous les composants soigneusement emballés dans des sachets en plastique par Cathi Nicoud.

En 1978, sur un coup de cœur, Daniel Roux quitte ses études en électrotechnique à l’École Technique Supérieure du Locle pour s’installer à Lausanne. Fasciné par les possibilités offertes par l’informatique à la fin des années 70, il accepte sans hésiter la proposition de Jean-Daniel Nicoud, père des micro-ordinateurs SMAKY, de le rejoindre dans son laboratoire de l’EPFL pour y travailler. Il devient également le premier employé d’EPSITEC, entreprise cofondée et dirigée par Cathi Nicoud mathématicienne de formation, qui lancera la commercialisation du SMAKY 6 créé par son époux. Le professeur Nicoud ne s’y était pas trompé. L’embauche de Daniel Roux s’avère être un choix judicieux, car il devient rapidement l’un des piliers de l’aventure SMAKY.

Il faut dire que Jean-Daniel Nicoud a toujours eu un don naturel pour attirer les jeunes talents et une stratégie simple mais efficace qui consiste à donner une chance à qui en « veut ». Inventeur génial, souvent comparé au professeur Tournesol, passionné par l’enseignement, il adore transmettre ses connaissances aux jeunes « mordus » de technologie, en utilisant ses propres outils pédagogiques qu’il crée lui-même. Dès 1969, il a non seulement été à l’origine des clubs d’électronique vaudois qui se sont répandus dans toute la Romandie, il a également été le président du comité des clubs d’électronique pendant de nombreuses années avant de devenir vice-président pour un temps de MICROCLUB, une organisation toujours active depuis son lancement en 1978.

De gauche à droite: Francis Klay, Denis Dumoulin, Michael Walz, Pierre-Yves Rochat, Yvan Dutoit, Martial Moret, Claude Beetschen, Daniel Roux, André Thalmann, Otto Kölbl et Cathi Nicoud

Programmeur chevronné au sein d’EPSITEC, Daniel Roux comprend rapidement qu’il peut mettre son talent artistique au service de l’entreprise. À cette époque, tout est réalisé en interne. Le couple Nicoud, en avance sur leur temps, favorise le travail à domicile et les séances de travail se déroulent dans le salon de Madame Nicoud. En 1978, il conçoit son tout premier jeu FLIPPER pour le SMAKY 6. À cette époque, on n’utilisait pas encore la souris, et le seul moyen d’y jouer était d’actionner une série de touches du clavier, ce qui rendait l’expérience presque similaire à un vrai flipper.

Daniel Roux – « La machine de l’époque, un Smaky 6 (1978) était extrêmement simple, elle permettait uniquement de faire des additions et des soustractions sur des nombres entiers. Donc vous imaginez la difficulté pour animer une balle qui a une trajectoire parabolique fluide, les collisions avec les bumpers. Pour simuler tout ça, il fallait se contenter d’additionner et soustraire des nombres. La limite physique des machines représentait une grande difficulté à l’époque. Il fallait beaucoup d’astuces pour réaliser ce jeu. La balle qui dans le jeu donne l’impression de faire des belles paraboles, ne fait absolument pas des paraboles, tout est triché! C’était impossible de calculer des paraboles avec un processeur aussi pauvre. »

La souris, une invention géniale!

À la fin des années 70, il travaille au Laboratoire de Calculatrices Digitales (LCD) et collabore étroitement avec André Guignard, chargé de fabriquer un prototype de souris (développée en parallèle). Cette souris est connectée au SMAKY pour une série de tests. Pour représenter le pointeur, synchronisé avec le déplacement de la souris, Daniel Roux dessine la forme d’une flèche à l’aide de pixels.

Daniel Roux – « Initialement, j’avais choisi la forme de gauche pour le pointeur de la souris. Par la suite, le pointeur a évolué et pris la forme caractéristique de droite, qui est encore celle utilisée de nos jours. »

En 1981, il publie son premier article « Une souris intelligente » dans les pages de la revue des clubs d’électronique ELEMICRO. Construire un système mécanique et électronique qui trouve son chemin dans un labyrinthe n’est pas chose aisée. Proposé pour la première fois par l’IEEE en 78, le concours a été repris par l’Euromicro et a eu lieu à Londres en septembre 80, sous le nom de Micromouse Maze Contest. Le Laboratoire de Micro-informatique de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (LAMI) a participé à ce concours avec une dizaine d’autres concurrents de 4 pays différents. Cet article décrit cette souris, qui est plutôt une tortue, et montre les problèmes rencontrés, tant mécaniques que logiciels.

De gauche à droite: Daniel Roux, André Guignard et Patrick Sommer, un étudiant

Daniel Roux dessine 18 couvertures pour la revue ELEMICRO, dont le tout dernier numéro 127.

La publication de la revue prend fin après 14 ans d’existence, en mai 1983.

Cela marque le début d’une nouvelle vocation. L’arrivée de cette souris, inventée par Douglas Engelbart et développée par André Guignard, va permettre la création d’interfaces graphiques. Pour représenter les différents logiciels que l’on peut ouvrir d’un simple clic de souris, il faut une représentation visuelle de ces logiciels: les icônes! À partir de là, à l’instar de Susan Kare en Californie pour Apple, à la même période, Daniel Roux crée tout l’environnement graphique des SMAKY.

Daniel Roux – « Les moyens techniques à l’époque ne permettaient pas de faire mieux. Il faut s’imaginer qu’il fallait poser tous les points, les uns après les autres, avec un logiciel très rudimentaire. C’était très, très long de faire une image comme celle-ci. »

De l’esquisse aux pixels: splashs, barres d’outils, trames, pictogrammes et icônes. Daniel Roux met sa palette de talents au service de l’entreprise EPSITEC et des utilisateurs de SMAKY.

Daniel Roux – « Au fil des années, j’ai dessiné des centaines de pictogrammes. La petite taille et le peu de points disponibles demandaient d’aller à l’essentiel. Trouver la bonne idée pour faire simple était compliqué. »

Daniel Roux – « Dans les images monochromes, les trames 8×8 permettaient de simuler divers niveaux de gris. Dans ce logiciel DESSIN, on pouvait les utiliser pour remplir des surfaces fermées très rapidement, c’est-à-dire sans mettre les points les uns après les autres. »

Daniel Roux – « Voici quelques exemples de trames 8×8 et des motifs qui étaient générés quand on remplissait des surfaces fermées. »

Daniel Roux – « J’avais poussé le luxe jusqu’à permettre à l’utilisateur de définir lui-même ses propres trames s’il le souhaitait. »

Pour illustrer les divers logiciels accessibles d’un simple clic de souris, une représentation visuelle est nécessaire: les icônes!

BONJOUR – Introduction pas à pas à l’utilisation du SMAKY, de la souris au programme de dessin en passant par la manipulation des fichiers avec START – Développé et dessiné par Daniel Roux.

INTRO – Introduction à l’utilisation du SMAKY 100. Un peu de manipulation, un peu de technique – Développé et dessiné par Daniel Roux.

Lorsqu'on maîtrise aussi bien la programmation que le dessin, tout un univers de possibilités s'ouvre…

Ce qui distingue Daniel Roux, c’est son rôle clé dans la conception intégrale de logiciels, de l’interface graphique au développement complet. Sa capacité à créer des logiciels « sur mesure », comme PAGE pour la mise en page complexe et le dessin vectoriel, DESSIN (utilisé pour dessiner les icônes en pixels du logiciel PAGE, entre autres), illustre parfaitement son expertise et son talent. Ces réalisations, parmi d’autres, bénéficient grandement aux utilisateurs SMAKY.

Ces divers programmes qu’il conçoit vont lui permettre de créer l’univers visuel du SMAKY. Il en dessine tous les contours, point par point: les interfaces graphiques, les icônes et les splashs. Naturellement, il compose la mise en pages de la documentation qui accompagne les SMAKY, comme les brochures A5 (dont il dessine également les couvertures), les publicités, les concours, et de nombreux autres imprimés sur lesquels on retrouvera systématiquement des dessins de Blupi.

PAGE est un logiciel pour SMAKY très ambitieux puisqu’il est la synthèse des logiciels de traitement de textes, de dessins techniques et artistiques, permettant ainsi toutes les mises en pages imaginables.

Daniel Roux est séduit par un concept novateur: la « programmation orientée objet », utilisé par exemple en C++. Comme il programmait tout en assembleur, il a utilisé ce concept en assembleur, ce qui était totalement improbable, mais qui a bien fonctionné pour PAGE.

En parallèle, crayon en main, il esquisse les divers logos des SMAKY au fur et à mesure de leur évolution, ainsi que ceux des magazines SMAKY Info (SMAKY News) et dont il fera aussi la mise en page. Il contribue également à la création des produits dérivés comme les autocollants ou les tapis de souris, créant ainsi une cohérence visuelle à travers toute la gamme SMAKY.

Illustrations réalisées pour le manuel d’utilisation du langage de programmation LOGO

Illustrations réalisées pour le manuel d’utilisation du langage de programmation BASIC

Dessins de logos

Illustrations réalisées pour le manuel d’utilisation du langage de programmation MODULA

Visuel pour tapis de souris

Daniel Roux – « Le logiciel DESSIN m’a également beaucoup servi pour dessiner la plupart des couvertures des manuels de nos logiciels pour nos SMAKY. »
(Brochures A5, mises en page et illustrées par Daniel Roux)

Croquis et splash screen (écran d’accueil pour logiciel)

Pixels en éveil – La magie de l’animation

Chaque année, Daniel Roux dispose d’un mois, entre novembre et décembre, pour développer des jeux vidéo dans le cadre de son activité chez Epsitec. Cathi Nicoud lui accorde ces quelques semaines qui lui permettent de créer un jeu, qu’elle distribue ensuite à Noël aux clients d’EPSITEC, utilisateurs de SMAKY.

C’est en 1988, qu’il réalise son premier jeu vidéo mettant en scène Toto (Blupi) sur SMAKY « Toto à la maison ». Père de deux enfants, qui deviendront les testeurs de ses jeux au fil de leur croissance, il crée par la suite, toute une série de jeux vidéo. Cette envie est née de sa volonté de donner vie à son personnage. Pour l’animer, il dessine point par point 3 images-clés. Une pour chaque mouvement. Grand moment d’émotion lorsqu’il voit Toto marcher pour la première fois. Par la suite, il dessinera une centaine d’images, appelées « Sprites », pour donner vie à Toto/Blupi à travers l’animation. Cela représente de nombreuses heures de travail, sachant que chaque image doit être dessinée point par point (pixel).

« Je me souviens que la première fois que ces images se sont animées sur l’écran du SMAKY, et que j’ai vu Blupi marcher, j’ai eu l’impression qu’il prenait vie. Ça a été un grand moment! »

Daniel Roux

Daniel Roux – « Pour faire un jeu, évidemment Blupi ne fait pas que marcher, il fallait réaliser plusieurs centaines de ces images. On voit ici une planche de 128 images (sprites). Vous imaginez le temps passé sur tous ces dessins. Et plusieurs de ces planches étaient nécessaires pour un seul jeu. »

Daniel Roux – « Comme c’était très fastidieux, j’avais une astuce qui consistait à ne dessiner que trois images pour une animation qui en comportait quatre. J’affichais l’image 2, la 3, puis de nouveau la 2, la 4, et on recommençait à l’infini, 2 3 2 4, 2 3 2 4. Et Blupi marchait! »

Extraits de Toto se promène (1991), Toto s’amuse (1990) et Blupi explorateur (1993)

Ping-Pong et Mur (1987)

Paysages estival et automnal de « Toto à la campagne » (1988)

Le jeu Blupimania a connu une longue vie, d’abord sur SMAKY puis sur PC, en 3D isométrique puis en vraie 3D.

Blupimania en 3D isométrique sur SMAKY

Blupimania en vraie 3D sur PC

Artiste complet et polyvalent, Daniel Roux utilisera son logiciel SIGMA, créé en 1981, pour composer sa musique, dont certaines pièces habilleront ses jeux vidéo. Il utilisera également sa propre voix ou celle de ses proches (accélérée) pour les divers bruitages de Blupi.

« J’avais construit une grande maquette de train à voie étroite semblable aux RhB, chemin de fer mythique dans les Grisons. Pour cela, j’avais fait l’un de mes rares développement hardware, l’interface TRAIN, ainsi que le logiciel du même nom. »

L’aventure SMAKY bien que terminée depuis longtemps restera gravée dans la mémoire des nostalgiques qui ont pu découvrir, grâce aux SMAKY mis à disposition des écoles romandes dans les années 1980, les débuts de l’informatique tout public.

Daniel Roux est resté fidèle à Epsitec durant 45 ans, jusqu’en avril 2023, date à laquelle il a pris sa retraite. Avec humilité, il considère surtout avoir eu de la chance d’avoir été là au bon moment, à une époque exceptionnelle où les débuts de la micro-informatique
ouvraient un champ des possibles infini.

Un feuillet de Crésus pour SMAKY (1993)

Aujourd’hui encore, les logiciels Crésus Comptabilité et Crésus Facturation, qu’il a créé en 1993, demeurent les logiciels phares de l’entreprise Epsitec SA, basée à Yverdon-les-Bains. Ils sont largement connus et utilisés par les services de comptabilité de nombreuses entreprises.

De nouvelles aventures

Aujourd’hui, Daniel Roux se consacre encore à l’une de ses nombreuses passions: le jeu vidéo. Il travaille actuellement sur un nouveau jeu intitulé « Blupi is back », dont la sortie est prévue prochainement.

BLUPI IS BACK, le jeu trop fun qui va bientôt débarquer!

Réalisations les plus marquantes de Daniel Roux

Logiciels

1981
EDIT traitement de texte et SIGMA pour SMAKY 6

1982
Il programme le FOS et le CLI

1984
Il écrit EDIT, PLAN et des modules

1985
TEXT, programme de traitement de textes
Il écrit SIGMA pour SMAKY 100: permet de commander un synthétiseur ou générer du son

1986
START, GRAPHE et DESSIN: programme pour la réalisation de dessins artistiques

1987
TABLEAU et FICHE: gestion de bases de données

1988
Il crée les premiers TOTO

1989
Il sort XCAR et PAGE: programme de mise en page très évolué: traitement de textes et dessins

1990
BONJOUR et INTRO, pour apprendre à tenir la souris

1991
TRAIN, permet de gérer n’importe quelle maquette de train

1991
AUDIO et PICASSO: logiciel de dessin couleur pour SMAKY 300

1992
CROQUIS, logiciel de dessin (couleur) regroupant les fonctionnalités de DESSIN et PICASSO

1993
Il fait parler le SMAKY et présente PAGE4

1993
CRÉSUS, programme de comptabilité pour SMAKY

1994
Porte CRÉSUS sur PC: réécriture complète

1995
Commence FACTURATION

2005
Il réalise Crésus Documents

Jeux vidéo

1978
Flipper sur SMAKY 6

1987
Ping Pong
Mur

1988
Blupi (Toto) à la maison (26 lettres – 26 actions différentes)
Toto à la campagne

1990
Blupi (Toto) s’amuse: logiciel éducatif pour enfant (calculer, mémoriser, raisonner)

1991
Toto se promène

1992
Toto apprend le vocabulaire

1993
Blupi explorateur

1994
BlupiMania 2D

1997
Planète Blupi

1998
Speedy Blupi  (Speedy Eggbert pour la version anglophone)

1999
Blupi à la maison (en 3D – Réécrit pour PC/Windows – Modélisation 3D)

2001
CoLoBoT

2002
CeeBot, jeu pour apprendre à programmer tout en s’amusant
BuzzingCars, vendu à eGames et Ceebot: jeu de course de voitures dans lequel Blupi fait quelques apparitions.

2003
Blupimania 2 3D