1974 – 1993

La Suisse et l'informatique
dans la presse

L’histoire de l’informatique en Suisse vue à travers le prisme de la presse informatique ou quotidienne de l’époque. Un feuilleton émaillé de success-stories et parfois aussi d’aventures sans lendemain. Morceaux choisis d’articles commentés par leur auteur, Marielle Stamm, plus de 20 ans après.

Marielle Stamm a été la première journaliste spécialisée en informatique, en Suisse. Durant 19 ans, elle a couvert sans relâche l’actualité de l’informatique en Suisse. Correspondante du journal français 01 Informatique dès 1974, elle a créé et dirigé Informatique & Bureautique, l’hebdo romand de l’informatique, devenu par la suite IB Magazine.

Marielle Stamm s’initie à l’informatique dans une société de services, à Paris, où elle organise la première exposition d’art sur ordinateur, en France. En 1974, elle s’installe à Lausanne et devient la première journaliste spécialisée en informatique, en Suisse. Correspondante, dès octobre 1974, du journal français 01 Informatique, elle en assure, durant 14 ans et à une cadence hebdomadaire, la rubrique suisse. Dès 1982, elle dirige la société Edimont, éditrice du journal Informatique & Bureautique qui devient la référence en matière de presse informatique avec sa parution hebdomadaire de 1989 à 1992.

Durant 19 ans, Marielle Stamm couvre sans relâche l’actualité de l’informatique en Suisse. Elle rédige une rubrique informatique dans le prestigieux Journal de Genève (de 1979 à 1982), fonde le Cahier suisse de l’Ordinateur Individuel (en 1983 et 1984) et anime avec son équipe d’IB Magazine la chronique informatique du Nouveau Quotidien dès son premier numéro, en 1991.

En 1993, Marielle Stamm opte pour une nouvelle activité dans la presse quotidienne romande. Nommée directrice du marketing de 24 heures (fonction qu’elle assume jusqu’en 1997), elle lance les Cahiers de balades et les cartes topographiques « La Boussole », puis, le projet « Journaliste d’un Jour », une initiation des élèves des gymnases vaudois à la presse.

Elle consacre aujourd’hui son temps à l’écriture de romans.

Chapitre 1

Années 1974 et 1975

1974: les mots informatique et ordinateur sont absents et ignorés de la presse quotidienne. Le journaliste en informatique (à fortiori si elle appartient au sexe dit faible) est un animal inconnu, voire bizarre, en territoire suisse romand. A l’heure où le futur concepteur de smaky.ch et collectionneur du Musée Bolo fait ses premières dents (de lait), Marielle Stamm écrit ses premières chroniques.

Elle fait aussi ses premières dents sur un sujet ardu: les microprocesseurs, des petits engins prometteurs auxquels s’initient les ingénieurs de l’EPFL. Un produit basé sur une de ces petites merveilles fait l’objet de quelques lignes laconiques, la semaine suivante. C’est une fabrique de machines d’emballage lausannoise qui le fabrique. Il servira à enregistrer des données sur cassettes… Prémices d’un futur traitement de texte.

Dans la foulée, deux autres sociétés suisses se lancent dans l’aventure informatique, un horloger et un fabricant d’automates musicaux. Pourtant l’heure est encore aux grands ordinateurs et aux applications développées à coups de millions de francs (suisses). A l’hôpital comme pour l’armée.

On recense en Suisse 2148 de ces calculateurs mammouths dont la moitié aux couleurs bleu azur de l’incontournable IBM. Tels sont les chiffres de l’année 1974 fournis par l’enquête de l’Université de Fribourg. Les utilisateurs se regroupent autour de leurs constructeurs au sein d’une association, le Groupement Romand de l’Informatique ou GRI.

Les préoccupations de l’heure vont à la formation des informaticiens. La Suisse est en retard dans ce domaine, la pénurie en personnel spécialisé sera longue et les contours de la profession sont encore flous.

Chapitre 2

Années 1975 et 1976

Büfa à Zürich, Telecom à Genève, des rendez-vous à histoires où se fait l’histoire. Les premiers micros montrent le bout du nez. Le directeur d’IBM Suisse donne une interview… sans rencontrer la journaliste! Les mini-ordinateurs partent en guerre contre les maxis. Combien gagnait un informaticien en 1976?

Les expositions sont le lieu de tous les échanges entre utilisateurs et constructeurs d’ordinateurs. Suivant l’exemple des rendez-vous allemand (Foire de Hanovre) ou français (Sicob à Paris), la Büfa (Bürofachverband) s’ouvre à l’informatique. Cette vieille dame très conservatrice (elle est née en 1931) tient ses assises dans les halles inhospitalières de la Züspa, à Oerlikon, dans la banlieue de Zurich. Un tiers d’exposants d’informatique prennent place auprès des vendeurs de meubles et de matériel de bureau.

Durant l’exposition de 1975, on parle beaucoup de petits systèmes de gestion. Certains sont dotés de disques souples qui font une apparition discrète. Mais le compte à piste a encore la part belle. On les appelle parfois mini-ordinateurs et ils peuvent aussi servir de terminal de télétraitement reliés à de grands centres de calcul. Un mois plus tard, à Genève a lieu la deuxième confrontation internationale entre constructeurs d’informatique et les fournisseurs de télécommunications du monde entier, PTT en tête. Les ordinateurs deviennent l’élément essentiel des infrastructures des télétransmissions, on s’occupera plus tard de l’utilisateur final. Le très britannique Viewdata, embryon de la télématique de demain, est absent de Genève.

A un échelon mille fois plus modeste, l’exposition Mimi à Zurich, organisée à l’initiative d’un professeur canadien, veut rassembler minis et micros. Et déjà le marché des hobbyistes montre le bout de son nez. On peut y découvrir l’Altair 8800 de Mits et c’est une première en Suisse. Les Suisses romands ne veulent pas être en reste. Au grand dam des organisateurs de la Büfa, le GRI entend mettre sur pied sa propre exposition. Une polémique de röstigraben qui durera des années et autour de laquelle s’affronteront deux fortes têtes. Curieusement, elles sont suisse-allemandes toutes deux.

La toute nouvelle maîtrise fédérale d’informatique fait aussi couler pas mal d’encre, les premiers candidats romands se sentant désavantagés par les experts alémaniques. A la Faculté des Sciences de l’Uni de Genève, le professeur Bernard Levrat innove en lançant une nouvelle filière. Mais combien gagnent ces oiseaux rares si recherchés en cette même année 1976? Quelques chiffres circulent: 4129 francs (CHF) par mois pour un analyste ou chef de centre, le haut du pavé!

Chez le Grand Bleu – la journaliste aime abuser des métaphores – qui emploie alors 2400 personnes, ils sont déjà légion et malgré quelques signes de récession, l’heure n’est pas encore au dégraissage, confie Hans Luthy, directeur d’IBM Suisse dans une longue interview un peu soporifique. Peu étonnant, le manager a exigé les questions à l’avance et répondu par écrit sans daigner rencontrer son interlocutrice! Autres temps… Pourtant le constructeur numéro 1 (autre métaphore, largement utilisée) doit aujourd’hui faire face à une concurrence pléthorique. A titre d’exemple, la prestigieuse École hôtelière de Lausanne a lancé un appel d’offres auprès de 18 constructeurs pour son premier ordinateur! L’heureux gagnant? Digital Equipment avec un PDP 11, un mini qui fera sa fortune.

Reste que cette nouvelle discipline, l’informatique, suscite peurs et angoisses. L’individu fiché dans des banques de données sous l’œil menaçant de Big Brother cherche à se protéger. C’est à Genève que naît l’initiative d’un projet de loi pour la protection du citoyen contre l’ordinateur. Guy-Olivier Segond, un juriste qui fera carrière, en est l’auteur.

Chapitre 3

1977, l'année des grandes manœuvres

C’est l’année des grandes manœuvres pour la mise sur pied de projets colossaux qui se chiffrent en dizaines de millions de francs suisses. L’informatisation de la police et des banques notamment agitent et perturbent le microcosme de l’informatique helvétique. Plus modestement, les chercheurs des écoles polytechniques fédérales et des universités défrichent le terrain des microprocesseurs et amorcent les applications de demain autour du dialogue interactif entre l’homme et la machine.

L’année 1977 sera celle des grandes manœuvres pour la mise sur pied de projets informatiques colossaux qui se chiffrent en dizaines de millions de francs suisses. Après l’armée et les grands hôpitaux (voir chapitre1, les articles sur Pisa et Diogène), c’est l’informatisation de la police et des banques qui agitent et perturbent le microcosme helvétique.

Police, la quadrature du cercle

Deux systèmes concurrents se disputent les faveurs de la Police et exacerbent les rivalités régionales. Faut-il centraliser? C’est ce que prônent les concepteurs du projet alémanique. Il remporte les suffrages de 19 cantons Outre Sarine, s’appelle KIS (Kriminal Polizeiliches Informations System) et s’articule autour d’un double ordinateur mammouth relié en télétraitement à des terminaux installés sur 110 sites. Le projet romand et tessinois privilégie au contraire une saisie décentralisée à l’échelon de chaque canton. L’approche diffère aussi sensiblement en matière d’applications à traiter prioritairement, personnes recherchées (70’000 individus) ou personnes connues (un million). Les intrigues vont bon train autour de cette quadrature du cercle, ainsi qu’est titré le premier des deux articles consacrés à ce vaste imbroglio.

Un cheval de Troie dans les banques

Autre terrain de bataille, les banques. Avec comme cheval de Troie, le système Swift qui permet de relier les établissements bancaires pour tout ce qui concerne le clearing international. Ainsi fonds, fonds, fonds, ironise l’auteur de l’article. Le constructeur américain Burroughs a remporté une première victoire en fournissant le système central. Reste à chaque niveau national à choisir les SID (System Interface Device), soit les machines dont chaque banque devra s’équiper pour s’y relier. Et c’est là que le fameux cheval des rusés Grecs intervient.

Car qui peut le moins peut le plus. Pourquoi ne pas utiliser cet ordinateur pour résoudre les autres problèmes de la banque? Les trois fournisseurs officiels de SID se vantent d’y parvenir. L’avantage semble être acquis par Burroughs choisi par un pool de 47 banques suisses. Mais les deux autres concurrents de ce marché disputé, Singer (devenu dans l’intervalle ICL) et General Automation, n’ont pas dit leur dernier mot. Quant au constructeur IBM, il ne se fatigue même pas côté matériel. Ses ingénieurs développent les logiciels qui permettront de relier directement ses machines bleues à Swift.

Des projets pharaoniques

Ce sera la solution adoptée par la très puissante SBS pour la plus grande réalisation bancaire de Suisse, un système à trois étages RTB, Real Time Banking. Il abritera une base de données lourde de 1,4 milliards d’octets, soit la bagatelle de 1,4 gigas, et remplacera avantageusement les 11 millions de cartes perforées utilisées jusque-là. Au passage, la banque pourra supprimer 800 emplois! A l’époque, on n’a pas encore honte de s’en vanter…

Avec RTB, la SBS a une longueur d’avance sur l’autre grande banque suisse, l’UBS (on est encore très loin du mariage des années nonante…). Cette dernière a enterré le trop colossal Ubisco. Abascus, non moins pharaonique et tout aussi pyramidal que son prédécesseur, renaît de ces cendres avec, à la clé, environ 100 millions de francs suisses à gagner. Ils sont convoités par les constructeurs aux reins les plus solides. Face à IBM, se profile Sperry Rand et sa nouvelle acquisition, Univac. Gianni Rusca, à la barre de ce paquebot, commente sa stratégie, le management par objectifs! Dans sa ligne de mire, Abascus et ses millions. Une politique qui portera ses fruits. UBS restera fidèle à Univac.

Qui s’étonnera, devant l’ampleur de ces projets, que les banques totalisent à elles seules 27.9% de la mémoire installée en Suisse, ainsi que l’annonce l’Institut de Fribourg? Les chiffres des études respectives de Fribourg et de la Chambre de Commerce Allemagne-Suisse divergent sur de nombreux sujets. Par souci de cohérence avec les études précédentes, le prestigieux Institut oublie malheureusement de s’adapter aux plus récentes technologies et à la nouvelle terminologie.

Mubus, Crocus et Dauphin, le futur se dessine

Or, celles-ci font leur chemin sans tambour ni trompette. Comble de l’ironie, on se pose encore la question: « des microprocesseurs, pourquoi faire? » à une journée organisée par la très sérieuse ASSPA (Association suisse pour l’Automatisme). Mais dans les murs de l’École Fédérale Polytechnique de Lausanne, le Professeur Jean-Daniel Nicoud met au point les produits qui feront sa renommée. Le Mubus, un bus standardisé sur lequel on enfiche des connecteurs pour relier diverses applications est montré pour la première fois dans une petite expo IMMM à Genève, puis à Bâle, à l’Ineltec, où la microinformatique est en vedette.

Les autres bébés du Professeur s’appellent Crocus et Dauphin. Grâce à ces produits, concoctés dans le Laboratoire des calculatrices digitales, les brillants élèves de l’EPFL pourront comprendre les microprocesseurs. Avec le premier, ils disposent d’un outil à la fois didactique et ludique, permettant le dialogue grâce à son écran et à son clavier. Avec le second, ils peuvent développer leurs propres applications.

L’homme dialoguera avec la machine

Les adeptes du Personal Computing (PC), un terme et une abréviation venus d’Outre-Atlantique et qui vont bientôt faire le tour du monde entier, se regroupent au sein du Microclub. Ils sont déjà 160, durant l’été 1977, à pianoter et à échanger leurs recettes de cuisine. Ces aficionados du Dauphin ont aussi le cœur sur la main. Ils vont lancer un concours sur les thèmes de l’aide aux handicapés et aux aveugles.

Thèmes prémonitoires. Car sans le doigt et l’œil, l’informaticien sera vite dépourvu. Le grande problématique des années à venir va tourner autour du dialogue homme-machine. Le Professeur Bernard Levrat, directeur du Centre Universitaire de l’Université de Genève, décrit l’état de ses recherches dans un article publié à l’occasion de la première édition suisse de 01 Informatique, un Spécial Büfa. Devant un écran à plasma, des diodes à infra-rouges détectent la présence du doigt. Celui-ci ouvre le menu et son organigramme bien structuré derrière lequel se cache le langage Pascal. A lui tout seul, ce langage évoque un grand moment de l’histoire de l’informatique suisse. Nous y reviendrons.

Chapitre 4

Traitement de textes au sommet, les ancêtres d'Internet

Le terme bureautique est devenu à la mode. Le traitement de texte est son plus beau fleuron. Pas moins de 25 marques sont représentées en Suisse. Les micros Apple II, Pet de Commodore et SMAKY 6, dévoilés à Genève durant IMMM, attirent de nouveaux amateurs d’informatique domestique. Les gourous de l’EPFL brossent, sans se tromper, un tableau de l’informatique à l’horizon 2000. Ancêtres commerciaux d’Internet, Viewdata (né en Angleterre) et « Bildshirmtext » (conçu en Allemagne) tentent de séduire la Poste helvétique.

« Que cache l’iceberg bureautique? » titre un supplément de l’édition suisse qui tente d’y voir clair dans ce nouveau fourre-tout où se côtoient la reprographie, l’agencement et le mobilier, la gestion des agendas et l’archivage. Au sommet de cet iceberg, trône l’incontournable traitement de textes.

Spécial traitement de texte

« Pourquoi un numéro spécial traitement de texte? » poursuit la journaliste qui ne recense pas moins de 25 fabricants, représentés sur le marché suisse. La plupart sont américains, tel Vydec, une société du groupe Exxon qui tient le haut du pavé et propose des systèmes monopostes dédiés, avec traitement de texte sur grand écran, c’est-à-dire pleine page, au prix salé de 65’000 CHF. C’est beaucoup pour ne produire que de l’écriture!

Computer Associates qui voit sans doute plus loin dans sa boule de cristal, se targue d’offrir un mini-ordinateur mono ou multiposte doté à la fois de fonctions de gestion et du traitement de textes Typerite, un produit de Jacquard Systems.

Un peu à l’écart de cette foire d’empoigne, Bobst Graphic fait son chemin aux USA (voir aussi chapitre 1). Distinction sans précédent, le Scrib, un appareil portable qui permet la rédaction et la transmission de textes, est primé à la Wescon, à Los Angeles.

Smaky 6 exposé à Genève

Dans un contexte beaucoup plus discret, de nouveaux micros font leur apparition. Un importateur suisse introduit en Europe le premier calculateur de table japonais, le Sord M200, basé sur un Zilog 80. A la seconde édition d’IMMM à Genève (voir chapitre 3), les quelque 5’000 visiteurs découvrent, pour la première fois, des micros dont le succès sera immense, tels l’Apple II et le PET de Commodore. Grande première aussi pour le Smaky 6, développé par le professeur Nicoud, qui l’expose aux côtés du Dauphin. Qui s’intéresse à ces petites machines? L’acheteur OEM qui va surtout développer des applications d’ingénierie industrielle, mais aussi les premiers fans de l’informatique domestique, selon la terminologie des Français, qui se mettent à bidouiller dans leurs garages, ou ailleurs!

Prophéties à l’horizon 2000

Autour du traitement de textes et des micros, la disquette devient un accessoire indispensable. Reid Anderson, fondateur de la société Information Terminal et de la marque Verbatim, « parie sur les supports magnétiques souples » à qui il prédit un succès accru, dans les trente ans à venir. Pari et prophétie seront tenus.

Les prophètes de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne vont aussi s’en donner à cœur joie, aux Journées Électroniques de l’EPFL. A l’occasion du 125e anniversaire de l’École, c’est à une réflexion scientifique et humaniste qu’ils convient les participants. Le professeur Jean-Daniel Nicoud, malgré les précautions d’usage, loin de se ridiculiser, brossera sans se tromper et vingt cinq ans à l’avance, le paysage informatique, à l’horizon 2000. Il n’oubliera ni le PC portable ni l’agenda électronique. Quant au Professeur Neyrinck, il dénoncera l’intrusion insupportable des fichiers centralisés dans la sphère privée et agitera le spectre du chômage dans le secteur des services. Hélas, la suite lui donnera aussi raison.

L’informatique ne devrait-elle pas générer de nouveaux emplois? Afin de préparer les nouvelles générations, le professeur Raymond Morel affirme que « l’informatique à l’école doit être généralisée ». L’initiative reste modeste: 24 heures d’initiation informatique obligatoire pour les élèves de maturité du Collège Calvin à Genève, où enseigne ce mordu des micros, Président du groupe de coordination informatique au Centre suisse de perfectionnement des professeurs. Bien peu, mais le ton est donné.

L’ancêtre d’Internet

C’est en Angleterre qu’est né un ancêtre d’Internet. Le terme employé Outre-Manche est Viewdata, une invention plus commerciale que technique. Il s’agit de donner à tout un chacun l’accès à des milliers d’informations stockées sur des bases de données. Le support proposé est une banale télévision. Pour sortir Viewdata de son île, les représentants de la très sérieuse Post Office de Sa Majesté, ont fait le voyage jusqu’à Zurich, avec de brillantes démonstrations dans leurs bagages. Mais la Poste helvétique, plus proche culturellement de son homonyme allemande, préférera le système germanique qui porte le nom exotique de Bildschirmtext. Et de prévoir un premier essai pilote pour 1980 ainsi qu’une introduction progressive, d’ici 1985, de ce système où télécommunications et informatique échangeront de bons services. On le rebaptisera par la suite Videotex, et nous aurons l’occasion d’en reparler.

Chapitre 5

A l'aube des années 1980, menaces et promesses de l'ordinateur

Protection juridique du logiciel, protection de la sphère privée, la multiplication des programmes, la mise sur pied des banques de données suscitent de nombreuses préoccupations. Plus encore que la menace du chômage entraînée par l’automatisation des tâches. L’inventeur du langage Pascal propose une discipline et des règles structurées aux développeurs. Transmission de données par fibres optiques ou par infra-rouges, les expériences et les découvertes se succèdent. Tandis que les premières applications de gestion sur micros voient le jour.

Les 14 et 15 décembre 1978, Genève est le siège du premier Congrès international du droit de l’informatique. Une quarantaine de spécialistes, juristes, constructeurs d’ordinateurs, sociétés de services, grands utilisateurs s’y retrouvent. Une de leurs préoccupations majeures est la protection juridique du logiciel. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) vient de publier des « Dispositions types » en la matière. Elles s’inspirent des règles concernant les droits d’auteur. Mais est-ce bien logique? Bien plus que de sauvegarder la propriété intellectuelle, les entreprises souhaitent protéger leurs investissements. L’OMPI a le mérite d’avoir cerné le problème, mais celui-ci est loin d’être résolu.

Autre objet ou plutôt sujet à protéger, l’individu menacé par la multiplication des banques de données. Qu’elles soient élaborées à l’échelon fédéral en marge des projets de la police KIS et de l’armée Pisa (voir chapitre 3) ou à l’échelon communal, pour contrôler les habitants, elles imposent la mise sur pied rapide d’une protection juridique de la sphère privée. Genève avec sa loi votée en 1976 a fait œuvre de pionnier. Le projet fédéral sera prêt dans le courant de l’année 1979. Il débouchera sur une loi. Quant aux communes, elles élaborent des règlements l’une après l’autre. Le citoyen aura peut-être une chance d’échapper à l’œil fouineur de Big Brother.

De nouvelles menaces semblent encore plus préoccupantes: les suppressions d’emploi qui se précisent avec la prise en charge des tâches administratives par l’ordinateur. Un des directeurs des PTT annonce qu’il renonce à une solution centralisée pour l’automatisation des chèques postaux et que les 25 offices qui les traitent seront maintenus. Il affirme rassurant: « Personne ne sera licencié à cause de l’ordinateur »! Un discours passé aux oubliettes depuis longtemps!

Fibre optique et infra-rouge

Encore bien assise sur son monopole, la grande Régie Fédérale se lance dans de multiples projets. L’essai pilote de Vidéotex démarrera en février 1982 et durera trois ans. On effectuera en parallèle les analyses techniques et une étude de marché.

Autre piste suivie, la transmission par voie optique. Sur un trajet de 2,7 km, on teste huit fibres optiques entre deux centres de télécommunications des PTT, à Berne! Si elles sont destinées dans un premier temps à véhiculer les conversations téléphoniques, on prévoit néanmoins déjà leur usage pour la transmission de données.

Dans le même ordre d’idées, le Centre de recherche IBM de Rüschlikon met au point une découverte portant sur la transmission de données par infrarouges. L’objectif, supprimer les câbles encombrants qui relient les terminaux aux ordinateurs. Équipés de diodes luminescentes et de photodiodes, les premiers émettent et reçoivent les données en provenance d’un système central. Une technologie qui s’étendra aux claviers et aux souris d’aujourd’hui.

L’inventeur de Pascal

Reconnu et adulé comme un des pionniers de l’informatique, Niklaus Wirth est l’inventeur du langage Pascal. Ce professeur de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich (ETH), aujourd’hui à la retraite, explique dans une interview donnée à 01 Informatique pourquoi « Pascal est adapté à l’industrie (comprenez industrie du logiciel) grâce à sa conception globale». En imposant une discipline, soit un nombre de règles limitées et homogènes, il limite la liberté, voire la fantaisie des programmeurs et « structure » leur démarche. Hélas, au cours de cette interview, le célèbre professeur n’a rien dévoilé de ses découvertes sur Lilith, l’ordinateur démon, qu’il était en train de développer dans son laboratoire zurichois.

A l’EPFL, dans son Laboratoire des calculatrices digitales, le Professeur Jean-Daniel Nicoud accueille le club lausannois des amateurs de micros. Microclub a pris son rythme de croisière avec des pointes de 250 adeptes assistant aux « micromanips et aux microlabos ». Les fans du Smaky ont fondé leur propre groupe le Smug (Smaky utilisateurs groupe). Une jeune société Epsitec le fabrique déjà artisanalement. A quand un véritable produit proposé dans un boîtier donc conditionné pour être commercialisé?

Premières applications sur micro

Car la concurrence américaine commence à déferler sur le marché. Le TRS 80, déjà très prisé aux USA, fait sa première apparition en Suisse à l’occasion d’IMMM 79, troisième édition genevoise de cette foire vouée à la microinformatique. L’état-major de Tandy en vante les mérites… et cherche un distributeur helvétique. Les micros doivent surmonter deux handicaps: ils manquent d’un réseau de distribution fiable et de logiciels d’application. Les fabricants traditionnels de minis, tels Digital Equipment ou Data General en profitent pour mettre en avant la compatibilité de leurs micros – LSI 11/23 pour le premier, Micronova pour le second – avec leurs modèles haut de gamme, et la sophistication de leurs progiciels, le néologisme à la mode pour logiciel d’application.

Et pourtant, une comptabilité générale sur micro-ordinateur fait une entrée discrète sur le marché de la gestion. Un jeune ingénieur et hobbyste l’a développée sur un Zilog grâce au langage PLZ inspiré du Pascal. Le tout, matériel et logiciel, revient à 40’000 francs suisses avec, en bonus, un programme de traitement de texte. Les fabricants de minis n’ont plus qu’à s’aligner!

Zoom*

Simuler la musique de Palestrina et son art du contre-point sur ordinateur, c’était déjà possible en 1978! Un jeune étudiant zurichois étudia l’oeuvre du Maître de musique de Saint-Pierre de Rome qualifié à la Renaissance de « sauveur des œuvres sacrées ». Le programme écrit en APL décortiquait les règles musicales utilisées par le grand musicien. Imitant son processus de création, ce logiciel composait ensuite des morceaux, en utilisant un générateur de nombres au hasard, puis il les comparait aux œuvres originales. Le jeune homme a été récompensé par le prix 1978 de « La Science appelle les jeunes » décerné par la ville de Zurich.

La rubrique Zoom relate une application ludique ou originale, voire un événement cocasse de l’époque.

Chapitre 6

La saga du Videotex

Les systèmes vidéotex ont ouvert l’accès aux banques d’informations d’une multitude d’entreprises et d’organismes. Les utilisateurs se sont d’abord servi de leur télévision, puis de terminaux spécifiques et enfin de leurs micro-ordinateurs. D’abord cantonné aux milieux professionnels, le Vidéotex s’est ensuite adressé aux personnes privées grâce à l’invasion des micros dans les foyers. Le Vidéotex suisse a connu un démarrage lent et difficile. Ouvert en 1987, le service a connu son rythme de croisière au début des années nonante, principalement grâce aux applications bancaires. Mais après avoir longtemps subi la concurrence du Minitel français, Vidéotex a été progressivement supplanté par Internet, dès 1994. Il a survécu jusqu’en l’an 2000.

VIDEOTEX PTT | Musée Bolo

Extrait du livre: Histoire de l’ordinateur en Suisse – un état des lieux, paru en septembre 2009 aux Éditions Chronos (Zurich) dans la série Histoire et Informatique (Tome 17) Éditeur Peter Haber, Association Histoire et Informatique, section de la Société suisse d’histoire.

Résumé

Les systèmes vidéotex (1) ont ouvert l’accès aux banques d’informations d’une multitude d’entreprises et d’organismes. Les utilisateurs se sont d’abord servi de leur télévision, puis de terminaux spécifiques et enfin de leurs micro-ordinateurs. D’abord cantonné aux milieux professionnels, le Vidéotex (1) s’est ensuite adressé aux personnes privées grâce à l’invasion des micros dans les foyers. Le Vidéotex suisse a connu un démarrage lent et difficile. Ouvert en 1987, le service a connu son rythme de croisière au début des années nonante, principalement grâce aux applications bancaires. Mais après avoir longtemps subi la concurrence du Minitel français, Vidéotex a été progressivement supplanté par Internet, dès 1994. Il a survécu jusqu’en l’an 2000.

Des débuts hésitants

  • Viewdata sort de son île:
  • Les PTT suisses sont séduits
  • L’essai pilote
  • L’essai d’exploitation
  • Les Moniteurs d’or
  • Pendant ce temps, à l’étranger
  • Avant l’ouverture du service public
  • La cohabitation

La vitesse de croisière

  • Les chiffres
  • Abaisser les coûts
  • Améliorer technique et performances
  • Adopter un marketing agressif
  • Minitel, l’empêcheur de tourner en rond

Les causes du déclin

  • La libéralisation des télécommunications
  • La nouvelle loi sur les télécommunications, LTC
  • Le manteau de Saint Martin
  • Le home banking
  • La montée en puissance d’Internet

En guise de conclusion

  • Une histoire de verre

Notes / Sources / L’auteur