La saga du Vidéotex
La vitesse de croisière
Les chiffres
Enfin! Le service public est ouvert depuis le premier janvier 1987, mais les difficultés des PTT ne sont pas éradiquées pour autant. Ils mettent sur le papier des objectifs ambitieux. Soixante mille abonnés en 1990, un chiffre qu’ils rectifient à la hausse quelques mois plus tard. Rien moins que deux cent mille abonnés sont espérés pour 1991.
Or, ils ne sont encore que 6’000 en ce début 1987 pour trois cents fournisseurs d’informations. Les crédits grimpent proportionnellement: 57 millions ont déjà été investis au cours des phases d’essai. En 1988, on parle de 130 millions pour les trois années à venir. Mais cela paraît encore insuffisant. L’année suivante, on double la mise, Vidéotex devient un gouffre financier et le crédit saute à 270 millions. Le point d’équilibre entre les coûts et les bénéfices espérés est attendu pour 1994.
Le chiffre des 200’000 abonnés ne sera pourtant jamais atteint. Les statistiques révélées chaque année, au mois de septembre, au cours du traditionnel forum vidéotex, font état de 22’000 abonnés en 1989, 50’000 en 1990, 70’000 en 1991. Les chiffres plafonneront à 180’000, en 1995, lorsque les PTT jetteront l’éponge et se sépareront définitivement de ce système dont ils attendaient tant.
Le nombre des fournisseurs d’informations a suivi la même courbe. Ils passent de 300 au début de 1987 à 462 en 1990, puis à 560 l’année suivante pour se stabiliser à 1100, à la date fatidique de 1995. Mais ce dernier chiffre fourni par les PTT ne reflète pas la réalité car il englobe des fournisseurs quasi inactifs qui se bornent, on l’a vu plus haut, à publier une simple page d’accueil sur le système en attendant le véritable décollage du système.
Abaisser les coûts
Dès 1987, les PTT mobilisent tous leurs efforts pour attirer le public et faire ainsi baisser la grogne des fournisseurs d’informations. Leur action s’exerce dans trois domaines : financier, technique et marketing.
Les taxes vont être revues à la baisse. La taxe de communication au vidéotex qui oscillait entre 4,50 et 7,50 francs de l’heure s’abaissera à 3 francs début 1988. Quant à l’abonnement mensuel de 12 francs, il sera finalement supprimé au premier janvier 1989. Des réductions sont également consenties sur le coût de la location mensuelle du terminal. Le modèle couleur Loewe passe de 55 à 43 francs, le petit Comtel noir-blanc (voir plus haut) de 50 à 38 francs, le nouveau Cept-Tel est loué 9 francs par mois (voir plus bas). Dès janvier 1989, le service kiosque est proposé. Imité du Minitel, le kiosque n’est facturé qu’au temps de connexion et non à la page consultée.
Améliorer technique et performances
Avec l’augmentation du nombre des abonnés, un seul ordinateur central à Berne est devenu insuffisant. On s’oriente vers une architecture distribuée. Quatre nouveaux centraux basés sur des Vax 11/780 de Digital Equipment sont installés à Zurich, Lausanne, Bâle et Saint Gall. On leur adjoint un centre de gestion de type Vax 11/785 (où sont hébergés les abonnés) et des ordinateurs frontaux locaux et distants. Une quinzaine de points d’accès sont ainsi créés. Enfin, les PTT acquièrent au Canada un logiciel de base de données relationnelle pour accueillir les informations qui transitent depuis les banques de données des serveurs et des fournisseurs importants et pour héberger celles des plus petits fournisseurs. Le service y gagne en rapidité et en performances. Que de chemin parcouru depuis le premier central installé à Berne pour l’essai pilote!
Sous la pression de la concurrence, les terminaux sont devenus multinormes. Le nouveau Comtel qui intègre désormais téléphone et modem dans le même boitier que le clavier et l’écran, s’adapte aux réseaux français (Télétel) et anglais (Prestel). Ses performances s’améliorent: plus de mémoire et la possibilité de préprogrammer les commandes nécessaires à la consultation d’une page précise du vidéotex.
A Computer 89, les visiteurs découvrent le dernier-né, le Cept-Tel fabriqué par la filiale Radiotechnique de Philips. Plus de la moitié des Minitels consultés en France sont fabriqués dans son usine du Mans. « Au déballage, il ne paie pas de mine! » s’exclame un des journalistes d’Informatique et Bureautique. Muni d’un écran de 9 pouces, d’un pavé numérique avec touches de fonction et d’un modem intégré, ce nouveau terminal est un croisement du minitel et de la norme Cept 1. Astuce de rangement, le clavier se glisse sous l’écran, le tout ne pèse que 4,6 kilos.
Gadget très attendu, la carte à puce utilisée par vidéotex est annoncée pour tous les services bancaires, dès 1990. Une nouvelle version du Multitel (autre terminal au catalogue des PTT) sera proposée avec un lecteur de cartes intégré. Mais l’introduction est lente. Deux ans après, les quatre grandes banques du pays en sont encore à tester leur carte auprès de 300 clients.
Autre amélioration souhaitée depuis longtemps, la vitesse de transmission va passer à 1200 et 2400 bits par seconde. Les PTT annoncent l’ouverture de ces canaux plus rapides pour la fin de 1990. Le délai d’attente et les temps de connexion vont sensiblement diminuer. La même année, en septembre au cours de l’incontournable forum vidéotex (on ne les numérote plus!), la ville de Bâle effectue une démonstration dans le cadre des Communes modèles. Raccordée à Swissnet (6), le réseau numérique suisse, à une vitesse de 9600 bits/seconde, l’application est impressionnante: un guide des manifestations, un horaire des transports publics, un logiciel de communication pour les utilisateurs de PC et, cerise sur le gâteau, un superclub qui propose parmi d’autres gâteries, la livraison de pizzas à domicile!
D’autres services ont déjà fait leur chemin. En 1988, les PTT ont annoncé le télégiro, l’équivalent du télébanking pour les clients d’un compte de chèque postal. Et encore le vidéotélex qui permettra aux abonnés du vidéotex de communiquer dans les deux sens avec ceux du télex. L’annuaire électronique dont l’usage devrait contribuer à faire décoller le nombre d’abonnés se révèle décevant. Les PTT en ont profité pour augmenter le coût du renseignement classique facturé désormais un franc. Dix fois plus que la consultation sur Vidéotex qui coûte seulement 10 centimes. Mais la procédure vidéotex est lourde. Pour obtenir un simple numéro de téléphone, l’abonné doit s’identifier et donner son mot de passe. L’annuaire électronique semble plus avoir été conçu pour les demoiselles du téléphone que pour tout un chacun.
Adopter un marketing agressif
Il faut aussi convaincre et faire connaître le service, ou plutôt les différents services au grand public toujours réticent. Pas question d’imiter les Français en distribuant gratuitement des terminaux avec, en prime, l’accès à l’annuaire électronique. L’idée est discutée au parlement fédéral. Elle suscite une levée de boucliers car le lobby des fabricants de papier qui fournit les imprimeurs d’annuaires y est bien représenté. La grogne gagne aussi les revendeurs de terminaux qui craignent de voir décliner leur commerce.
Reste la publicité. Les chiffres dépensés par les PTT pour des campagnes publicitaires seraient faramineux. On annonce la somme fantaisiste de 14 millions. « Ridicule » réplique la direction du géant jaune, qui admet une somme inférieure à un million de francs pour l’année 1987. PTT et fournisseurs d’informations se renvoient la balle, estimant, chacun de leur côté, que l’autre n’en fait pas assez.
Le mieux n’est-il pas d’agir de concert? Ils se regroupent enfin pour un tir groupé. Les PTT, Jelmoli, le Crédit suisse, la Société de Banque Suisse et les Voyages Imholz expédieront un mailing sur deux millions d’adresses entre mai et novembre 1992. Il était temps!
Quant à la bonne vieille formule des Moniteurs d’or, elle est toujours pratiquée au cours des forums vidéotex du mois de septembre. En 1987, le Moniteur d’or est décerné à Reuters pour ses renseignements boursiers et financiers. En 1988, TeleCoop (tapez *7575#) est récompensé dans la catégorie services grand public pour les possibilités de téléshopping proposées dans les trois langues nationales. Un Institut d’analyses médicales est également distingué. En 1990, la ville de Bâle attribue ses prix à l’horaire électronique des transports publics de Bâle (charité bien ordonnée…) et au City Guide de Saint Gall.
A Genève, Xavier Comtesse rédige un ouvrage qui fait date: la référence vidéotex, un plaidoyer à la fois enthousiaste et pro domo. Car l’auteur est aussi le fondateur du Concept Moderne qui a établi un rapport comparatif entre Minitel et Vidéotex pour le compte de la Fédération des syndicats patronaux. Son entreprise qui développe de nouveaux services pour la Bourse de Genève et la Télévision Suisse Romande se fera racheter au bon moment, en 1989, par le puissant groupe Edipresse (24 heures et Le Matin).
Les efforts en Suisse romande restent pourtant modestes, Charles Veillon organise un concours. Mais la société VTX avoue avoir de la peine à rentabiliser son serveur avec ses clients professionnels, parmi lesquels la chaîne d’hôtels Minotel ou l’Association vaudoise des établissements médicaux-sociaux. Les autres applications développés pour la radio Couleur 3 et le quotidien 24 heures drainent plus de trafic auprès du grand public avec des messageries et des jeux!
Minitel, l’empêcheur de tourner en rond
La faute à qui? Partiellement au succès du Minitel dont la concurrence est de plus en plus offensive. Le très respectable Groupement Romand de l’Informatique n’hésite pas à jouer les trublions en installant seize bornes interactives, de simples minitels, dans l’enceinte de Computer 87, la grande foire informatique qu’elle organise, chaque printemps, à Lausanne. Le visiteur peut effectuer sa recherche sur plusieurs critères, marque, exposant, numéro de stand. Le catalogue complet est à la portée d’un simple clic. La société Medias-Création, qui a développé l’application, a utilisé un logiciel français baptisé Cocktel. Son fondateur, Pierre-Yves Tille fait aussi l’article pour Groom Minitel, un service d’accès au kiosque (5) de Télétel. L’usager de Télétel n’a plus à payer une taxe exorbitante, 72 francs, pour se brancher sur la France. Avec Groom, les coûts sont diminués de moitié et un crédit d’heure est offert en bonus. Toujours sur minitel, Sertel ouvre à Nyon une messagerie coquine. De quoi faire rosir les joues des messieurs bien-pensants à Berne et ailleurs.
Mais c’est certainement l’aventure Suisstell qui va faire le plus mal. L’ouverture prochaine de la banque de données de Sonor a lieu dans les locaux-même du quotidien La Suisse. Au menu, bulletins d’informations, météo, horoscope, agenda de la vie nocturne et surtout une messagerie, talon d’Achille du vidéotex. Le service dispose de 300 lignes téléphoniques. Le directeur de Suisstell, Daniel Mange, estime à 2500 abonnés le seuil de rentabilité. Le chemin sera encore long à parcourir. Mais une grande campagne de publicité s’étale dans les pages de la Suisse et Suisstell affiche des prix très attractifs avec un package à 69 francs par mois comprenant la location du minitel et huit heures de communication gratuite. Un prix qui reste dissuasif pour certains, tant qu’ils ne peuvent pas accéder à la fois aux données françaises et aux services suisses de Vidéotex.
Les PTT profitent de ces attentes pour marquer des points. Le serveur de Suisstell devient binorme en mars 1990 et s’ouvre enfin à tous les services du Vidéotex suisse. Un autre serveur genevois, celui de la Maison des Jeunes appelé Relais se convertit aussi à la norme suisse. Il est subventionné par la Ville et le Canton de Genève. Faute d’atteindre ses objectifs, Suisstell périclitera, puis sombrera définitivement dans la faillite de Sonor, en 1994.
La guéguerre du bout du lac entre Minitel et Vidéotex aura duré près de quatre ans. Pour en finir avec cette concurrence trop tapageuse, les PTT ont trouvé un modus vivendi, le fameux compromis helvétique. Ils installent eux-mêmes les minitels, ils fournissent des modems bi-normes. Ils se résolvent enfin à ouvrir leur central vidéotex aux usagers de Télétel, en Suisse comme en France. Tout comme ils se sont reliés au Bildschirmtext des Allemands et aux Vidéotex autrichien et luxembourgeois.
Car il est temps de regarder hors des frontières. Il s’y passe beaucoup de choses. Normalisation, explosion des réseaux numériques à services ajoutés, éclatement des monopoles. Le contexte juridique dans lequel évoluent les PTT est obsolète. Il est grand temps de préparer une libéralisation. Or, la loi sur les télécommunications, qui est en préparation, ne fera qu’engendrer de nouvelles complications pour le service vidéotex.