18 novembre 1974
La révolution des microprocesseurs aux Journées d'électronique de Lausanne
01 Informatique No. 309
Quatre ans après l’introduction des deux premiers microprocesseurs sur le marché, ce nouveau secteur de l’industrie connaît une expansion sans précédent. On dénombre aujourd’hui au moins 25 microprocesseurs différents, dont les plus évolués, il faut le dire, sont encore au stade du développement.
Le microprocesseur, composé d’un seul circuit intégré sur lequel sont logées les unités arithmétiques et de contrôle, offre par sa miniaturisation le double avantage d’une grande souplesse d’utilisation et d’un faible coût, entre 40 et 400 dollars. Néanmoins sa vitesse réduite par rapport à celles qu’offrent les miniordinateurs freine son utilisation dans les applications temps réel.
Les possibilités immenses offertes par les microprocesseurs expliquent le choix qu’en ont fait les organisateurs des journées d’électronique de Lausanne comme thème de leur session 1974.
Ces journées patronnées, depuis leur création en 1970, par le professeur R. Dessoulavy et organisées cette année avec le professeur J. D. Nicoud, tous deux professeurs à l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont connu un vif succès du 14 au 20 octobre dernier.
Près de 700 participants, dont environ 450 Suisses et 250 étrangers, ont été attirés par ce sujet d’avant-garde et par la qualité et la diversité des conférenciers, recrutés parmi les plus éminents spécialistes des microprocesseurs des États-Unis et d’Europe.
Les organisateurs ont même dû refuser plus de 100 personnes, dans l’impossibilité où ils étaient de faire reculer les murs du grand Aula de l’EPFL.
Les journées d’électronique s’inscrivent dans le cadre de la formation continue, ce qui explique la progression du programme au long des quatre journées. Après une initiation aux caractéristiques générales des microprocesseurs, destinée aux auditeurs non spécialistes, des conférences extrêmement techniques et détaillées ont donné une vue plus complète des différents produits accessibles sur le marché ou en cours de développement, ainsi que des outils indispensables à leur mise en œuvre.
Enfin, les deux dernières journées ont été consacrées aux applications des microprocesseurs, au traitement de l’information d’une part, et au contrôle industriel et à l’instrumentation d’autre part.
L’initiation générale aux techniques employées dans les microprocessing a été faite respectivement par le professeur Nicoud, de l’EPFL, le professeur Aspinall de l’Université de Swansea; R.E. Merrill de la société DEC abordait les problèmes de programmation et le professeur Dessoulavy décrivait les différentes technologies des circuits intégrés à large échelle et leur application à la réalisation des microprocesseurs.
Avec la conférence de J.L. Ogdin, président de la société américaine Micro Computer Technique, les auditeurs rentraient dans le vif du sujet, grâce à la description systématique des différents produits existants, annoncés et en voie de développement, et de leurs avantages respectifs. J.-L. Ogdin vient de publier une étude comparative très complète sur les microprocesseurs dans le cadre d’une série intitulée New Logic Note Book. Cette étude constitue un outil de premier choix pour l’ingénieur appelé à faire appel aux microprocesseurs. Les différents critères de sélection y sont analysés en fonction du besoin à satisfaire : conception de système, conception de matériel ou réalisation de logiciel.
Après cette entrée en matière, une série d’exposés très spécifiques et techniques, a permis à deux des principaux constructeurs de microprocesseurs, Intel et Motorola, de vanter les mérites respectifs de leur matériel : rapidité et microprogrammabilité de la nouvelle série 3000 chez Intel, modularité de la famille M6800 chez Motorola.
Puis ont suivi des exposés portant sur les outils spécifiques, matériel et logiciel, destinés à la mise en oeuvre de divers microprocesseurs, Moniteur WMCS 4, OXY « Debuggers » pour Intel 8008 et 8080, par exemple. Nous avons noté une expérience particulièrement intéressante que poursuit D. Dutoit au sein du laboratoire de calculatrices digitales de l’EPFL que dirige J.D. Nicoud. Avec la réalisation de ses micromodules, D. Dutoit a construit un outil destiné à la fois à l’enseignement de la structure et du fonctionnement des micro-ordinateurs et un outil d’aide au développement.
Les deux dernières sessions des journées d’électronique destinées aux applications des microprocesseurs (nous ne pouvons malheureusement pas les citer toutes), ont mis en relief le décalage entre les possibilités de la technologie d’aujourd’hui et les réalisations déjà en fonctionnement. La plupart d’entre elles sont centrées sur des systèmes fonctionnant à base de micro-ordinateurs où l’on a intégré un microprocesseur.
Ainsi ce dernier est au cœur de l’unité centrale lorsqu’il contrôle, par exemple, un terminal graphique qui permet, à la fois une visualisation précise de l’image et la communication directe entre le système graphique et l’utilisateur. Il peut aussi faire fonction de terminal portable à grande vitesse dans un réseau de commutation de messages transmis par radio. Une utilisation amusante de l’Intel 8008 a été relatée par un représentant de la firme suisse Zellweger qui a équipé les 500 chambres du plus grand hôtel de Kloten d’un système de réveil automatique.
En ce qui concerne les applications de type industriel, J.-J. Hirsch, de la société Alsthom à Grenoble, a exposé les possibilités offertes par les microprocesseurs en conduite automatique de processus, d’une part dans les applications de type séquentiel, d’autre part dans le domaine de la régulation. Dans le premier cas, le micro-ordinateur Micral, de la firme française R2E basé sur le microprocesseur Intel 8008 offre des performances intéressantes. Celles-ci seront encore accrues avec l’apparition prochaine sur le marché du Micral S basé sur l’Intel 8080 plus rapide.
Signalons enfin, la conférence particulièrement brillante de T. Kaegi de la société zurichoise Haeni, qui a décrit une utilisation du 8008 pour le test des circuits intégrés ou imprimés. Le test revient 5 fois moins cher que s’il est réalisé à l’aide d’un miniordinateur.
En complément de chaque série d’exposés, des tables rondes ont apporté une animation souvent très vive aux journées d’électronique. Elles ont souligné certaines divergences de vues parmi les spécialistes sur le podium et dans l’auditoire.
Quelle est la véritable vocation du microprocesseur? Doit-il se contenter de supplanter le miniordinateur dans les domaines d’application de celui-ci, ou doit-il se créer un domaine d’application spécifique dans des secteurs où le prix du miniordinateur décourage son utilisation? Les machines à laver de demain seront elles toutes équipées de leur microprocesseur? C’est là, pour certains, que réside la vraie révolution apportée par les microprocesseurs.
Mais si l’on opte pour la première solution, si on laisse les microprocesseurs aux seules mains des informaticiens, ne faudra-t-il pas nécessairement faire des progrès importants dans la réalisation du logiciel qui s’y adapte?
Devra-t-on se contenter de langages d’assemblage peu satisfaisants pour l’utilisateur ou favoriser le développement de langages évolués, tels que le PLM qui fonctionne sur Intel 8008 et 8080? Dans ce cas, ne court-on pas le danger d’une augmentation du prix du matériel en fonction de l’accroissement de la taille de mémoire nécessaire, supprimant ainsi l’avantage du coût modique du microprocesseur? En fait, cette affirmation ne résiste pas longtemps à l’argument inverse. Le prix des mémoires baisse chaque année, tandis que le salaire du programmeur est en progression constante.
Autre thème de discussion, le domaine d’application des multiprocesseurs. Les opinions se sont partagées entre les partisans d’une utilisation des microprocesseurs pour des tâches spécifiques distinctes, par exemple, dans un atelier de commande numérique de machines-outils, et ceux de la répartition d’une même tâche entre plusieurs microprocesseurs partageant la même mémoire.
Au cours de la table ronde de clôture, les spécialistes s’interrogeaient enfin sur les avantages des nouveaux microprocesseurs microprogrammables, cette particularité apportant une souplesse d’adaptation accrue. Et, tandis que les réalistes énuméraient les cas où les microprocesseurs sont encore déconseillés, lorsqu’il s’agit d’un traitement trop complexe, exigeant une trop grande rapidité ou des besoins en alimentation trop importants, les amateurs de prospective supputaient l’apparition des nanoprocesseurs de demain.
Souhaitons aux journées d’électronique 1975, qui auront pour thème « advanced signal processing technology », un succès aussi vif que celui des journées 1974.
Marielle Stamm