Une histoire de l'informatique en Suisse

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Chapitre 5 - A l'aube des années 1980, menaces et promesses de l'ordinateur

Les 14 et 15 décembre 1978, Genève est le siège du premier Congrès international du droit de l'informatique. Une quarantaine de spécialistes, juristes, constructeurs d'ordinateurs, sociétés de services, grands utilisateurs s'y retrouvent. Une de leurs préoccupations majeures est la protection juridique du logiciel. L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) vient de publier des « Dispositions types » en la matière. Elles s'inspirent des règles concernant les droits d'auteur. Mais est-ce bien logique ? Bien plus que de sauvegarder la propriété intellectuelle, les entreprises souhaitent protéger leurs investissements. L'OMPI a le mérite d'avoir cerné le problème, mais celui-ci est loin d'être résolu.

Autre objet ou plutôt sujet à protéger, l'individu menacé par la multiplication des banques de données. Qu'elles soient élaborées à l'échelon fédéral en marge des projets de la police KIS et de l'armée Pisa (voir chapitre 3) ou à l'échelon communal, pour contrôler les habitants, elles imposent la mise sur pied rapide d'une protection juridique de la sphère privée. Genève avec sa loi votée en 1976 a fait oeuvre de pionnier. Le projet fédéral sera prêt dans le courant de l'année 1979. Il débouchera sur une loi. Quant aux communes, elles élaborent des règlements l'une après l'autre. Le citoyen aura peut-être une chance d'échapper à l'oeil fouineur de Big Brother.

De nouvelles menaces semblent encore plus préoccupantes : les suppressions d'emploi qui se précisent avec la prise en charge des tâches administratives par l'ordinateur. Un des directeurs des PTT annonce qu'il renonce à une solution centralisée pour l'automatisation des chèques postaux et que les 25 offices qui les traitent seront maintenus. Il affirme rassurant : « Personne ne sera licencié à cause de l'ordinateur » ! Un discours passé aux oubliettes depuis longtemps !

Fibre optique et infra-rouge

Encore bien assise sur son monopole, la grande Régie Fédérale se lance dans de multiples projets. L'essai pilote de Vidéotex démarrera en février 1982 et durera trois ans. On effectuera en parallèle les analyses techniques et une étude de marché.

Autre piste suivie, la transmission par voie optique. Sur un trajet de 2,7 km, on teste huit fibres optiques entre deux centres de télécommunications des PTT, à Berne! Si elles sont destinées dans un premier temps à véhiculer les conversations téléphoniques, on prévoit néanmoins déjà leur usage pour la transmission de données.

Dans le même ordre d'idées, le Centre de recherche IBM de Rüschlikon met au point une découverte portant sur la transmission de données par infra-rouges. L'objectif, supprimer les câbles encombrants qui relient les terminaux aux ordinateurs. Equipés de diodes luminescentes et de photodiodes, les premiers émettent et reçoivent les données en provenance d'un système central. Une technologie qui s'étendra aux claviers et aux souris d'aujourd'hui.

L'inventeur de Pascal

Reconnu et adulé comme un des pionniers de l'informatique, Niklaus Wirth est l'inventeur du langage Pascal. Ce professeur de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETH ), aujourd'hui à la retraite, explique dans une interview donnée à 01 Informatique pourquoi « Pascal est adapté à l'industrie (comprenez industrie du logiciel) grâce à sa conception globale». En imposant une discipline, soit un nombre de règles limitées et homogènes, il limite la liberté, voire la fantaisie des programmeurs et « structure » leur démarche. Hélas, au cours de cette interview, le célèbre professeur n'a rien dévoilé de ses découvertes sur Lilith, l'ordinateur démon, qu'il était en train de développer dans son laboratoire zurichois.

A l'EPFL, dans son Laboratoire des calculatrices digitales, le Professeur Jean-Daniel Nicoud accueille le club lausannois des amateurs de micros. Microclub a pris son rythme de croisière avec des pointes de 250 adeptes assistant aux « micromanips et aux microlabos ». Les fans du Smaky ont fondé leur propre groupe le Smug (Smaky utilisateurs groupe). Une jeune société Epsitec le fabrique déjà artisanalement. A quand un véritable produit proposé dans un boîtier donc conditionné pour être commercialisé ?

Premières applications sur micro

Car la concurrence américaine commence à déferler sur le marché. Le TRS 80, déjà très prisé aux USA, fait sa première apparition en Suisse à l'occasion d'IMMM 79, troisième édition genevoise de cette foire vouée à la microinformatique. L'état-major de Tandy en vante les mérites... et cherche un distributeur helvétique. Les micros doivent surmonter deux handicaps : ils manquent d'un réseau de distribution fiable et de logiciels d'application. Les fabricants traditionnels de minis, tels Digital Equipment ou Data General en profitent pour mettre en avant la compatibilité de leurs micros - LSI 11/23 pour le premier, Micronova pour le second - avec leurs modèles haut de gamme, et la sophistication de leurs progiciels, le néologisme à la mode pour logiciel d'application.

Et pourtant, une comptabilité générale sur micro-ordinateur fait une entrée discrète sur le marché de la gestion. Un jeune ingénieur et hobbyste l'a développée sur un Zilog grâce au langage PLZ inspiré du Pascal. Le tout, matériel et logiciel, revient à 40'000 francs suisses avec, en bonus, un programme de traitement de texte. Les fabricants de minis n'ont plus qu'à s'aligner !

Zoom*

Simuler la musique de Palestrina et son art du contre-point sur ordinateur, c'était déjà possible en 1978 ! Un jeune étudiant zurichois étudia l'oeuvre du Maître de musique de Saint-Pierre de Rome qualifié à la Renaissance de « sauveur des oeuvres sacrées ». Le programme écrit en APL décortiquait les règles musicales utilisées par le grand musicien. Imitant son processus de création, ce logiciel composait ensuite des morceaux, en utilisant un générateur de nombres au hasard, puis il les comparait aux oeuvres originales. Le jeune homme a été récompensé par le prix 1978 de « La Science appelle les jeunes » décerné par la ville de Zurich.

La rubrique Zoom relate une application ludique ou originale, voire un événement cocasse de l'époque.